PRESSE - La presse et ses lecteurs

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PRESSE - La presse et ses lecteurs

En se diversifiant, la presse différencie également ses modes de relation avec les lecteurs. La variété de ses titres ne traduit plus seulement une pluralité de préférences partisanes ou d’orientations idéologiques; elle résulte tout autant de l’application, courante désormais, d’un «marketing presse» qui traite les publications à la manière de produits culturels offerts sur un double marché de lecteurs et d’annonceurs. La plupart des journaux ont donc le souci d’adapter leur style et leur contenu aux publics cibles qu’ils ont sélectionnés. Ces cibles sont quelquefois si proches par leur profil socio-économique qu’on cherche à les différencier selon des critères psychologiques et culturels: «sociostyles» et courants socioculturels par exemple.

En fait, la presse individualise le rapport aux questions publiques et aux problèmes de société. C’est un interlocuteur public des intérêts personnels et des convictions du lecteur, de ses craintes et de ses frustrations comme de ses aspirations.

La relation au journal mêle donc des motivations psychologiques à des facteurs d’appartenance et de participation sociales. La consultation de la presse écrite ne peut être isolée de l’usage des autres médias, et encore moins des pratiques culturelles et politiques du lecteur. Elle renvoie donc à des transactions fort complexes qui rendent difficiles une connaissance fiable des publics et, à plus forte raison, l’appréciation d’une influence des publications sur leurs audiences.

1. La connaissance du lectorat

Les moyens d’investigation

À l’origine des études de lectorat, on trouve la demande des publicitaires désireux d’évaluer l’audience de publications qu’ils utilisent comme supports de leurs propres messages et soucieux d’en vérifier la correspondance avec les cibles de leurs campagnes. Les entreprises de presse les plus importantes se sont donc efforcées d’identifier et de valoriser leur public. Certaines sont allées un peu plus loin dans la connaissance des motivations et des habitudes de lecture de leur clientèle. Parallèlement à ces travaux privés, de vastes enquêtes nationales sur les loisirs ou les pratiques culturelles des Français sont périodiquement réalisées (en 1967 par l’I.N.S.E.E., en 1973, en 1981 et en 1989 par le ministère de la Culture); les questions relatives à la lecture de la presse y viennent en bonne place mais les résultats restent globaux et ne sont pas différenciés par titres. Pour mieux connaître leur lectorat, les journaux disposent donc des contrôles de diffusion, des études d’audience, des études d’opinion et de motivations de leurs lecteurs et enfin des analyses sémiologiques de leur «destinataire».

Les contrôles de diffusion sont effectués par des organismes paritaires regroupant des éditeurs de presse, des publicitaires et des annonceurs. C’est le cas de l’O.J.D. (Office de justification de la diffusion) en France, de l’A.B.C. (Audit Bureau of Circulation) en Grande-Bretagne ou de l’I.V.W. en Allemagne fédérale. Ils donnent pour chaque titre le nombre d’exemplaires (payés ou gratuits) mis en circulation. En France, ces résultats sont ventilés par département, ou même par commune et canton pour les souscripteurs de «l’Opération vérité».

Les études d’audience évaluent, par enquêtes sur échantillon, le nombre de lecteurs et la composition de ce lectorat. L’enquête annuelle du C.E.S.P. (Centre d’étude des supports de publicité) porte sur 15 000 personnes environ, consultées en trois vagues. Elle fournit des renseignements sur l’audience des titres souscripteurs ainsi que sur sa répartition selon des critères sociodémographiques (âge, sexe, catégorie socioprofessionnelle, niveau d’instruction, type d’habitat) ou selon son degré d’équipement en biens économiques. Elle permet aussi de calculer les duplications de lecture, c’est-à-dire les parts d’audience communes à deux ou plusieurs publications, la pénétration relative d’un titre ou d’une catégorie de journaux, ainsi que leurs taux de circulation (rapport entre audience et diffusion). Il faut toutefois en rappeler certaines limites.

On recueille ici des «déclarations de lecture» et non des modalités de lecture effective. La notoriété et le prestige accordés à un titre peuvent donc gonfler son audience tandis qu’est sous-évaluée celle de publications moins valorisées. D’autre part, la volonté de collecter des résultats fiables et significatifs – cette fiabilité diminue dès que l’audience réelle est inférieure à quatre cent mille lecteurs – conduit à limiter la liste des publications soumises à l’enquête. Certains groupes de presse (c’est le cas du groupe Hersant) refusent même d’y souscrire et font réaliser des consultations spécifiques au lectorat de leurs titres. Enfin, la généralité, voulue, des critères de description utilisés ne permet pas de différencier nettement les audiences de publications proches par leur contenu et leur public.

Aussi des études recourant à de nouveaux critères de classement et d’identification ont-elles été développées par des organismes privés: courants et typologies socioculturels de la Cofremca (Compagnie française d’étude du marché et de la conjoncture), «styles de vie» du C.C.A. (Centre de communication avancée). Elles restent toutefois complémentaires des approches plus classiques et ne peuvent s’y substituer. Des enquêtes plus lourdes et moins fréquentes s’attachent à l’étude des modalités de lecture, à l’évaluation de sa durée et à l’appréciation de sa qualité: s’agit-il d’une activité primaire ou secondaire? d’un simple feuilletage? observe-t-on des reprises en main d’un même exemplaire? Les études «budget-temps multimédia» du C.E.S.P. relèvent de cette démarche.

Les études d’opinion et de motivations sont le plus souvent commanditées par des titres qui analysent, pour leur propre compte, l’image qu’ils ont auprès des lecteurs ou des non-lecteurs. Ces études s’intéressent aussi aux motifs de satisfaction ou d’insatisfaction associés à la lecture du journal. Quelques rares enquêtes collectives ont toutefois été conduites, à la demande des quotidiens régionaux (en 1963 et en 1969). Elles mettent l’accent, entre autres, sur le poids de l’habitude dans la relation au journal, sur le succès permanent des pages locales; mais elles soulignent aussi la diversité des motifs de consultation du quotidien, certains lecteurs ne s’intéressant qu’à une seule page ou à une seule catégorie d’informations.

Les études «vu/lu» se situent un peu dans cette perspective. De deux cents à quatre cents lecteurs sont invités à préciser les titres, les photos et les articles remarqués, parcourus ou lus de manière plus approfondie.

Quelques quotidiens ou périodiques ont mis en place des dispositifs de consultation régulière de leurs lecteurs, recueillant leurs appréciations sur le contenu et la présentation de chaque numéro. On souhaite éviter ainsi les biais imputables au traditionnel courrier des lecteurs, qui reste d’un usage limité en France, et s’avère peu représentatif de l’audience globale. Mais ce feed-back ne peut se substituer à l’analyse rigoureuse du lectorat et des modes de lecture.

Les analyses sémiologiques, enfin, dessinent le destinataire auquel s’adressent les messages de la publication et mettent en évidence les «contrats de lecture» réglant la transaction entre le lecteur et son journal.

Le lectorat des quotidiens

Si certains pays (Japon, R.F.A., Pays-Bas) ont connu, à partir des années 1960, un développement étonnant de leur presse quotidienne, on note en France une régression lente mais régulière de leur lecture: 56 p. 100 de lecteurs en 1986, selon les chiffres du C.E.S.P., contre 60 p. 100 en 1978; mais 45 p. 100 seulement se disent lecteurs réguliers. Les titres nationaux, surtout «grand public», ont subi plus que d’autres cette chute d’audience. Durant la même période, la pénétration des régionaux est passée de 50 à 46,5 p. 100; elle reste toutefois très supérieure à celle de la presse nationale (12,7 p. 100 en 1986). Ces moyennes générales recouvrent de notables disparités régionales: 35 p. 100 des foyers seulement sont touchés par un quotidien dans la région parisienne contre 65 p. 100 dans Paris et près de 70 p. 100 dans le Finistère ou le Haut-Rhin!

Le lectorat de la presse quotidienne, tous titres confondus, compte plus d’hommes que de femmes et plus de lecteurs âgés que de jeunes. Par ailleurs, sa lecture régulière semble peu liée au niveau d’instruction; selon l’enquête effectuée en 1981 pour le ministère de la Culture, on comptait autant de lecteurs (44 p. 100) parmi les «sans-diplôme» que parmi les bacheliers et les diplômés de l’enseignement supérieur.

Mais ces traits s’appliquent surtout à l’audience des quotidiens régionaux. Leur lectorat, recruté sur le critère de l’appartenance à la zone géographique de diffusion du journal, présente en effet une relative homogénéité et reflète globalement la structure de la population des diverses régions. Tous les âges, tous les milieux et tous les niveaux d’instruction sont touchés, mais la lecture régulière est surtout le fait de sujets plus âgés. Les jeunes, les plus diplômés et les cadres tendent à s’en détourner. Cette évolution préoccupe d’ailleurs les dirigeants de cette presse.

Les journaux édités à Paris présentent en revanche toute une série de spécificités. Certains sont des quotidiens «tous publics» dont l’audience est surtout parisienne et regroupe des employés et des techniciens, des contremaîtres et des ouvriers qualifiés. Ils sont en fait peu comparables aux géants populaires anglais ou allemands (Sun , Daily Mirror , ou Bild Zeitung ).

Quelques organes de presses définissent encore leur audience selon l’appartenance politique ou religieuse... D’autres titres, accordant une large place à l’actualité politique, économique et sociale, recrutent surtout leurs lecteurs dans des milieux plus aisés, plus diplômés que la moyenne des Français et concentrés à Paris ou dans les grandes villes. Ils attirent aussi davantage les jeunes lecteurs. Enfin, des quotidiens spécialisés s’adressent soit aux médecins, soit aux cadres dirigeants, d’autres encore aux amateurs de sport.

Les publics de la presse périodique

Alors que les magazines généralistes ou destinés aux grandes catégories de publics (les cadres, les jeunes, les femmes) stagnent ou doivent constamment moderniser leur formule pour éviter le déclin, les titres spécialisés sur un seul sujet, plus récents, ont vu leur audience s’accroître rapidement. Actuellement, on peut estimer qu’un Français sur deux lit (au moins occasionnellement) un magazine féminin ou familial, un tiers une revue d’actualité politique et autant une revue consacrée à la maison et à la décoration tandis qu’un quart consulte une publication sportive ou de vulgarisation scientifique. Mais cette diffusion ne se fait pas de manière homogène. Soucieuses de conjuguer lectorat réceptif et cible commercialement utile, bon nombre de revues s’adressent de préférence à des milieux urbanisés, plutôt jeunes, économiquement et culturellement favorisés. Aussi relève-t-on des taux de duplication assez élevés entre titres d’une même catégorie de presse.

En 1983, par exemple, 48 p. 100 des lecteurs du Point lisaient aussi L’Express et 33 p. 100 Le Nouvel Observateur . Ces magazines visent tous des cadres, des professions libérales et intellectuelles habitant les grandes villes; leur lecture s’accroît nettement avec l’élévation du niveau d’instruction, elle est également plus fréquente chez les jeunes actifs. Enfin, si leur audience compte plus d’hommes que de femmes, cette différence disparaît si l’on fait intervenir le taux d’activité professionnelle du lectorat féminin.

La presse féminine et familiale, plus diversifiée, circule dans les milieux sociaux plus variés. On y trouve toutefois beaucoup de titres «haut de gamme», dont les lectorats, relativement aisés, se recoupent souvent; ainsi, en 1983, 65 p. 100 des lectrices de Marie-France consultaient aussi Marie-Claire . Les journaux de la presse du cœur présentent les mêmes recouvrements d’audience mais touchent une population plus modeste. Le public des revues littéraires, artistiques ou scientifiques est plutôt aisé et souvent plus jeune encore que celui des hebdomadaires d’actualité. Ce sont les publications consacrées aux contenus pratiques et aux programmes télévisés qui ont l’audience la plus large et la plus composite.

La presse et les jeunes

La lecture de la presse tient une place moins discriminante que la radio, la musique, la bande dessinée ou le cinéma dans les pratiques culturelles des jeunes. La plupart des adolescents se disent peu concernés par une actualité qu’ils jugent institutionnelle ou théâtralisée à l’excès, et sur laquelle ils ont le sentiment de manquer de prise. Les magazines recueillent plus souvent leurs suffrages (91 p. 100 s’en déclarent lecteurs en 1984 contre 54,5 p. 100 en 1975). Cette progression toutefois est moins le fait des périodiques d’actualité que des généralistes illustrés et des titres spécialisés. Regroupant des âges différents inégalement engagés dans les processus de socialisation et d’acculturation, les jeunes sont aussi difficiles à cibler qu’à positionner socialement. Les journaux ont d’ailleurs modifié leur attitude à leur égard.

À l’ambition de rapprocher les générations et de relayer les aspirations des jeunes succède le constat désabusé de leur désaffection de la presse écrite. Les pages qui leur étaient consacrées disparaissent des quotidiens régionaux car on craint, en voulant s’adresser spécifiquement à eux, de heurter les habitudes d’un lectorat traditionnel plus âgé. Bref, si l’on excepte quelques magazines familiaux ou d’origine catholique enquêtant sur les rapports parents-enfants, les relations entre générations, seuls les titres spécialisés privilégient des thèmes et des activités attirant un public jeune. Les autres attendent que les jeunes vieillissent, s’intègrent, et reviennent au journal. Quelques titres toutefois tentent d’intéresser à l’actualité les jeunes lecteurs dès l’âge de neuf ans dans des pages ou des journaux hebdomadaires qui leur sont spécialement destinés.

2. Les transactions entre la presse et ses lecteurs

Les relations entre la presse et les lecteurs sont complexes et l’influence sur les opinions ou les représentations est difficile à apprécier. Une première approche revient à se demander ce que les gens font de leur journal, ce qu’ils semblent en attendre et quelles satisfactions ils y trouvent. C’est la démarche suivie par l’analyse fonctionnaliste et, dans son prolongement, par l’étude des «usages et des satisfactions» (uses and gratifications ).

Usages et fonctions

Dès le début des années cinquante, Jean Stoetzel soulignait que la presse pouvait assumer, outre l’information, une fonction «psychothérapique» pour ceux qui trouvent dans le journal l’occasion de calmer leur angoisse ou de vivre par procuration des expériences qui leur seraient socialement interdites, une fonction récréative pour ceux qui y trouvent un divertissement, une fonction de reliance sociale enfin chez les lecteurs pour qui la presse contribue au renforcement des liens pratiques et symboliques avec une communauté. L’étude des usages et des satisfactions s’efforce donc d’identifier les ressorts psychologiques mis en œuvre dans la relation au journal ainsi que les «besoins» auxquels est censée répondre sa lecture. Les fonctions ainsi définies gardent un caractère général et ne sont pas propres à la presse: celle-ci n’est qu’un moyen, parmi d’autres, de «renforcer son identité», d’«aider sa sociabilité» ou simplement de se divertir.

Cette diversité d’usages se distribue en tout cas entre deux pôles contrastés: l’intégration et la participation sociale d’une part, l’évasion ou la diversion imaginaire d’autre part. La presse peut être l’une des plus sûres alliées du lien social; l’information, les connaissances et les commentaires qu’elle diffuse sont censés donner au citoyen «éclairé» et participatif les moyens de comprendre son environnement, voire d’agir sur lui en certaines occasions. Les corrélations observées dans de nombreux pays entre lecture régulière des quotidiens et participation politique ou associative et, inversement, la relation fréquente entre non lecture et abstentionnisme politique et social viennent à l’appui de cette hypothèse.

Certains journaux renforceraient les liens avec l’environnement social organisé et la communauté locale d’appartenance. Ainsi les grèves des grands quotidiens (à New York, au Danemark ou encore en France, comme celle de Sud-Ouest en 1972...) donnent l’occasion d’apprécier, par défaut, les contributions d’un titre généraliste à la vie d’une communauté urbaine ou d’une région: relais indispensable pour l’activité commerciale et les transactions interindividuelles, guide pratique pour la vie quotidienne (pour le travail comme pour la consommation ou le loisir...), chronique sécurisante des rites et des curiosités de la vie locale. D’autres publications mettent plutôt en relation les membres de groupes ou de communautés, à caractère religieux, sociopolitique ou socioculturel, qui peuvent être minoritaires, ou même en rupture avec l’organisation sociale environnante. C’est le cas de la presse des minorités (politiques, ethniques, culturelles...) ou encore de la «presse alternative», en R.F.A. par exemple. Intégration doit donc s’entendre ici comme régulation médiatisée des rapports entre les individus et des groupes d’appartenance ou de référence de taille, de fonction et d’obédience diverses.

L’évasion met au contraire l’accent sur le détachement, pratique et imaginaire, de l’individu du lien social. Les journaux fournissent alors les moyens de se protéger du contexte social, de le transfigurer ou même de le fuir. Ils proposent pour cela divers substituts fictifs et projectifs: les confidences et indiscrétions sur la vie et les aventures des personnages publics, les faits divers romancés où se mêlent crime, surnaturel et mœurs transgressives, et enfin le récit sentimental ou le feuilleton romanesque.

Certaines publications populaires, spécialisées dans ces contenus, comptent parmi les plus forts tirages d’Europe. C’est le cas du Sunday Mirror en Grande-Bretagne ou du Bild am Sonntag en R.F.A. L’évasion n’est pourtant pas l’apanage des milieux modestes. On peut tout aussi bien rêver sur les reportages exotiques ou sur le rallye Paris-Dakar... Seuls varient les supports de cette dérive imaginaire. Et, comme le soulignaient E. Katz et D. Foulkes (1962), il faut se garder de conclure hâtivement à la narcotisation ou au conditionnement des esprits. Les lecteurs restent conscients semble-t-il du rôle que jouent pour eux ces journaux dont il peuvent mettre en cause la crédibilité. En leur assignant une fonction de diversion, ou même de compensation, ils n’en annulent pas les effets mais en circonscrivent l’influence potentielle qui dépend surtout du contexte de réception.

L’influence de la presse sur les opinions et les représentations

D’une manière générale, il faut resituer la lecture des journaux dans les pratiques domestiques, culturelles et politiques des individus. La presse n’est plus qu’une partie d’un système de médiation dominé par la télévision et dans lequel l’édition d’actualité empiète sur un rôle traditionnellement dévolu aux revues et aux périodiques. Elle n’est, par ailleurs, qu’un facteur de formation ou d’évolution des opinions parmi tant d’autres, souvent plus efficaces: traditions familiales, relations avec les pairs, insertion dans des réseaux interpersonnels (guides d’opinion), participation associative... Son influence ne peut donc être isolée de son contexte social, ni de l’apport des autres médias.

Dans la mesure où les lecteurs choisissent leurs journaux (au moins parmi les quelques titres qui semblent s’adresser à eux...), la presse est tributaire des appartenances sociales, des intérêts et des convictions préalables de ses publics. L’influence la plus probable est donc le renforcement des convictions et l’ancrage des systèmes d’opinion, mais il faut se garder d’interpréter ce phénomène en termes d’assimilation pure et simple d’opinions préconstituées. Il s’agit plutôt de l’adoption, globale ou partielle, de principes rhétoriques, d’argumentaires logiques, de cadres de perception, de compréhension et d’évaluation des nouvelles ou de tout autre contenu passible de jugements éthiques, politiques ou esthétiques. Les journaux peuvent ainsi acquérir une crédibilité et une légitimité tantôt par leur modération, tantôt par la permanence de leur orientation, tantôt encore par le ton qu’ils donnent à leurs enquêtes, à leurs questions ou à leurs bilans.

Aussi une publication ne peut-elle modifier son point de vue sur une question qu’en intégrant progressivement les éléments nouveaux et en respectant le «contrat» rhétorique et évaluatif qui la lie à ses lecteurs. Tout changement brusque affectant cette compatibilité entre les perceptions du lecteur et les prises de position du journal, tout débordement par rapport à ce modus vivendi se heurtent à la résistance des lecteurs. Les consultations effectuées sur ce point convergent; si bon nombre de lecteurs admettent que les journaux prennent position sur certaines questions éthiques et sociales, comme l’avortement, le racisme ou l’énergie nucléaire, les réticences s’accentuent dès qu’on aborde les convictions religieuses ou idéologiques et les rejets l’emportent lorsqu’un titre prétend recommander un choix à l’occasion d’un vote ou d’une élection.

Il ne faut pas négliger par ailleurs la relative dépolitisation d’une grande partie de la presse. Les préoccupations des lecteurs sont souvent extérieures aux questions politiques ou idéologiques. Ainsi les journaux d’information générale n’ont une portée politique que pour une partie de leurs lecteurs, ceux qui sont à la fois assez instruits et assez impliqués dans les affaires publiques ou les débats d’idées, par appartenance partisane, ou par proximité professionnelle et culturelle. Mais la plupart d’entre eux, en particulier ceux qui lisent les titres «grand public», privilégient au contraire le sport, les faits divers ou les informations pratiques qui leurs proposent des renseignements utiles ou des nouvelles relatives à des gens qui leur ressemblent. De telles publications modèrent leurs prises de position pour éviter d’exclure une partie de leur clientèle et on observe même une relative indépendance entre leur orientation idéologique et les votes ou les préférences politiques des lecteurs.

Les grandes campagnes de presse qui, naguère, agitaient l’opinion ont laissé la place aux polémiques ou aux «investigations» sur des affaires controversées qui donnent surtout aux journaux l’occasion de réaffirmer leurs qualités de critique et d’indépendance. La presse n’en conserve pas moins un rôle spécifique dans l’expression publique des opinions. Elle partage avec d’autres une vocation à définir les débats publics et les enjeux qu’ils recouvrent, ainsi qu’à désigner les acteurs qui les animent. Elle peut, en s’appuyant sur son public, peser sur des décisions institutionnelles. À plus long terme, elle contribue surtout à modifier la problématique d’actualité et à faire évoluer les représentations sociales et politiques.

Soucieux de rester proches des préoccupations et des pratiques culturelles de leurs publics, les magazines ont ainsi élevé à la dignité de problèmes de société des domaines d’activité et des questions qui relevaient habituellement du «privé». C’est le cas par exemple des relations de couple, de l’éducation des enfants, des problèmes de santé, de vieillesse ou même des loisirs. Par le biais de ses enquêtes, de ses dossiers ou encore de ses sondages, la presse inscrit ces questions et bien d’autres dans le champ du politique et de l’opinion publique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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